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Mohammed Belmaïzi

LE JOURNAL DU MARDI

Ecrire l’immigration au féminin

[La]complexité de l’entre-deux, qui assombrit le vécu de la femme au sein de l’immigration, est abordée avec bonheur, lucidité et humour dans le récit romanesque « Ti t’appelles Aïcha, pas Jouzifine ! » (...).

L’auteure a su, en mettant en scène la narratrice Mimi et son amie Aïcha, identifier les espaces où elles évoluent. Celui de la famille étouffante et celui d’une société plate à l’égard de ses minorités, quand elle n’est pas hostile. De ces espaces, elle a su en visualiser l’architecture sociale et psychologique, et par là (…) appréhender la problématique et les difficultés qui assaillent les filles au sein de l’immigration. Un vécu féminin, qui s’il n’est pas sous haute surveillance, (...) est pris en otage par le regard réprobateur au sein de la communauté : « Vous ne pensez qu’à vous, et au sacro-saint « qu’en-dira-t-on », dira la narratrice à ses parents.

Mina Oualdlhadj passe en revue, à travers ce roman savoureux, préjugés, poncifs et chape d’ignorance autour de « l’immigration », dite ‘musulmane’. Toutes les thématiques qui font débat actuellement sont traitées d’une manière hautement instructive ; et cela s’étend de la question du foulard aux interdictions religieuses, en indexant le ruineux discours communautariste. Mais son regard, d’une talentueuse dérision, met l’accent sur ce qu’il y a de vivant et de combatif au sein de l’immigration féminine. La narratrice dira à son père, lorsqu’il se montre insupportable : « Je me plains de toi, mon père, qui me fais détester les hommes». Et le conflit générationnel, infligé à la jeunesse, se résumera dans la bouche de la narratrice s’adressant à ses parents, ainsi : « Foutez-moi la paix, tous les deux ! Oubliez-moi ! Enterrez-moi ! Vous pouvez me renier, me déshériter, je m’en tape ! Ras la casquette !»

Dans le chapitre intitulé « Racisme ordinaire », la narratrice érige sa perplexité, sa combativité et sa contestation « entre deux mondes parallèles… qui ne se rencontrent jamais : le monde de la maison et celui de l’extérieur ». C’est ainsi qu’elle décline sa lassitude et sa colère dans le segment suivant : « Marre de me battre, me battre à la maison, me battre à l’école… (…) Le professeur a insulté les Marocains, il veut que je rentre chez moi, mais chez moi, c’est ici… ».

Double critique libératrice du joug des appartenances et du communautarisme. Double critique suscitant lucidité et distanciation vis-à-vis de l’hégémonie d’une seule identité, d’une seule culture : « J’ai le défaut de n’accepter que l’autodérision : je peux me moquer des Marocains et des Belges parce que je suis les deux à la fois, mais je ne supporte pas que les autres le fassent », dira la narratrice.

Double critique, également, formulée (…) par l’intrusion des mots marocains et l’accent arabe qui déforment la langue de Molière. Et ceci dès le titre. Cette prononciation qui pullule dans le texte (« PIRSOUN I VA DISCENDRE DI CIEL ! ON I DI MOUSLIMAN ! TI T’APPILLES TAMIMOUNT, TI T’APPILES PAS NATHALIE OU BIRNADETTE ! »), dénotant les rudes antagonismes, si elle accentue le repli sur soi, (...) indique sur le plan de l’écriture romanesque l’inévitable rencontre des cultures, travaillées les unes par les autres.

Mina Oualdlhadj est en cela une romancière accomplie, glissant dans le sillage de ses consœurs Leïla Houari et Malika Madi dont les premiers romans s’articulent autour de la thématique du mal-être qu’endurent filles et femmes au sein de l’immigration maghrébine. (…) Si, dans le roman de Mina Oualdlhadj, la narratrice déplore le contrôle inhibitoire imposé aux filles (« Nous étions certes programmées pour le mariage. Ni flirt ni concubinage n’était au programme. »), chez Malika Madi, le jeune personnage, objet du désir de la narratrice dans « Nuit d’Encre pour Farah », s’appelle Willy. Or ce nom européen fournit l’image sonore « Ouilli » qui se traduit en arabe par «hchouma » : la honte. Honte de la mixité et crispation identitaire par crainte du déshonneur et des drames.

Le personnage féminin, aussi bien dans le récit autobiographique que dans la construction romanesque, est un individu sans humanité lorsqu’il n’est pas totalement annihilé. (…) Le mal-être de la femme au sein de l’immigration est certes une constante, et tend à prendre une figure naturelle collant à la peau de ces minorisés, constamment à la recherche de leurs véritables voies. Mais faut-il souligner ici que le monopole de la maltraitance des femmes ne revient nullement à la population immigrée déjà bien stigmatisée ?

Tout indique que nous assisterons dans un avenir proche à l’éclosion d’une compilation importante de récits qui joueront à coup sûr leur rôle. Et ce phénomène aura le mérite d’avoir délié les langues et brisé les tabous. Le recours à l’écriture et à la publication par les femmes de l’immigration en général, devient dans ce sens, non seulement un acte conscient de la prise de la parole et une immersion dans la créativité, mais il vient remuer un débat sociétal itératif autour de la condition féminine sur laquelle on a flanqué le qualificatif de « musulmane ». Un débat qui met, à tort et à travers, l’Islam et l’appartenance religieuse au centre de la bourrasque et du harcèlement à l’encontre des femmes.

Ces récits et ces romans éducatifs, ne pourraient-ils pas contribuer à clarifier le débat, à cimenter l’imaginaire craquelé de nos jeunes et à instaurer durablement une conscience critique, rempart contre fanatisme et archaïsme, s’ils étaient étudiés dans nos écoles belges ? Il s’agit, par là, d’intégrer, sans complexe, cette production à l’histoire de la Belgique, et de promouvoir la pensée et la culture, pour mieux vivre ensemble. (02-12-2008)